Mes lectures

C’est moi qui éteins les lumières, Zoya Pirzad

          Par les yeux de Clarisse, épouse et mère de famille, on observe le petit cercle qui se presse autour du foyer : un mari ingénieur à la raffinerie, deux filles adorables, le fils vénéré en pleine crise d’adolescence et la vieille mère enfin qui règne sur la mémoire familiale. De nouveaux voisins, une famille arménienne débarquée de Téhéran, vont très vite bouleverser l’équilibre affectif de notre femme invisible.

          J’avais acheté ce livre il y a plusieurs années déjà et je l’avais plus ou moins oublié depuis. Quand j’ai décidé de ne lire que de la littérature féminine en mars (ma liste est à retrouver ici), je me suis dit que c’était le bon moment pour le sortir enfin de ma bibliothèque. Si j’ai vu pas mal de films iraniens, la littérature de ce pays m’est étrangère. Je n’ai que bien peu de références en la matière, j’étais donc curieuse de découvrir ce texte qui m’avait été chaudement recommandé.

Couverture du roman, C'est moi qui éteins les lumières

          Je dois admettre qu’au final je ne sais pas trop quoi dire de ce texte. Pour commencer, le style est sobre et agréable. On suit le quotidien d’une mère de famille sans histoires. Une banlieue calme, un mari aimant, des enfants qui grandissent sans encombre. Une vie plutôt ennuyeuse somme toute qui va se retrouver bouleversée par l’arrivée de nouveaux voisins. Enfin, bouleversée, le mot est sans doute bien fort. Légèrement bousculée serait plus juste.

          Des habitudes différentes qui vont l’amener petit à petit à se questionner, à regarder peut-être sa vie d’un nouvel œil. Mais le changement reste subtil. Trop subtil pour moi sans doute. Si j’ai bien aimé découvrir d’autre coutumes, une autre culture, ce texte est trop intimiste pour que ce soit réellement un coup de cœur pour moi (ceux qui me suivent depuis longtemps savent ma faible appétence pour la littérature de l’intime…). Toutefois j’ai apprécié cette lecture toute douce qui m’a fait passer un agréable moment et questionne entre les lignes sur la place de la femme dans la société iranienne.

Portrait de Zoya Pirzad

Chaque fois que j’allais mal, je pensais à lui. Et dès que j’allais bien, je pensais encore à lui. Par exemple, quand je voyais pousser des racines à la branche que j’avais mise à l’eau. Ou bien lorsque je réussissais un plat que je faisais pour la première fois. Ou encore, quand Armen rapportait de bonnes notes. Je me mis à déchiqueter le mouchoir en papier en me demandant pourquoi je pensais toujours à mon père dans ces moments de joie ou de peine.

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Quand je me réveillai, un rayon de soleil frappait la glace de ma coiffeuse. Je me souvins qu’en partant, Artush m’avait glissé à l’oreille : « Dors, aujourd’hui les enfants ne vont pas à l’école. » Les mains derrière la tête je regardais les jeux d’ombre et de lumière dans la glace. Dans la cour, les moineaux pépiaient. « Aujourd’hui, je me suis levée plus tard que vous ! » leur dis-je tout haut en riant.

Mes lectures

Les exilés meurent aussi d’amour

          Shirin a neuf ans quand elle s’installe à Paris avec ses parents, au lendemain de la révolution islamique en Iran. Dans cette tribu de réfugiés communistes, le quotidien n’a plus grand-chose à voir avec les fastes de Téhéran. Shirin découvre que les idéaux mentent et tuent.

          Les bonnes surprises de la rentrée de septembre se seront fait attendre (comment ça je suis super à la bourre dans mes articles ?!) mais elles se sont enchaînées sur la fin, me laissant finalement un goût  presque pas amer. Je n’irai pas jusqu’à dire que ça m’a fait oublié les 3 mois de souffrance où j’ai enchaîné les lectures au mieux médiocres mais ça m’aura au moins évité de me dégoûter définitivement de la littérature contemporaine, c’est déjà ça (non, je ne change pas d’avis, la rentrée littéraire 2018 reste le pire cru que j’ai connu !)

Couverture du roman Les exilés meurent aussi d'amour

          J’ai beaucoup aimé ce roman où on suit une petite fille et sa famille à leur arrivée en France. Voir le monde avec ses yeux apporte une certaines fraîcheur. Si des sujets sérieux sont abordés, il y a toujours un décalage dû à l’âge de la narratrice qui leur donne une touche de légèreté. C’est bien écrit et très agréable à lire. La famille – aussi dysfonctionnelle soit-elle – est décrite avec beaucoup de tendresse et on a vite l’impression d’en faire un peu partie. Les personnages ont des caractères forts, décrits avec un certain humour qui les rend attachants (enfin, presque tous).

          A travers cet histoire d’intégration, on en apprend pourtant un peu plus sur la culture iranienne et j’ai trouvé leur rapport à leur nouvelle patrie intéressant. Ils tentent de reproduire dans leur nouvel environnement la vie qu’ils ont laissé derrière eux et de trouver de nouveaux repères dans un monde qui leur est étranger. J’ai beaucoup aimé le style de l’auteur, qui allie gravité et humour et raconte son histoire avec beaucoup de tendresse. Il y a un côté assez merveilleux dans sa manière de conter, même s’il s’estompe un peu au fil des pages, devenant plus sombre sur la fin. Un premier roman très réussi, intéressant et bien écrit. Une très belle surprise.

Portrait d'Abnousse Shalmani

Ce que rappelle ce « ghazal » à ma famille, c’est que pour elle, il ne faut jamais regarder la vérité en face et encore moins la dire (la dire, c’est l’accepter et c’est intolérable) et si le mari est homosexuel, mieux vaut raconter une histoire qui deviendra un mythe, une plaie béante dans le cœur des descendants

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Il est impossible de pleurer la nostalgie, c’est l’hymne national de l’exil. L’exil est une identité, un langage, un passé sans avenir. L’exil est une île où se retrouvent tous ceux qui n’ont ni le visage du pays natal ni celui du refuge : ceux qui sont trop vieux pour oublier et pas assez jeunes pour se fondre, ceux qui restent toute leur vie sur une île qui flotte sur des océans qui ne leur appartiendront jamais.

Cinéma

Argo

Thriller américain de et avec Ben Affleck, avec Bryan Cranston, John Goodman, Alan Arkin.

          Novembre 1979, en pleine révolution iranienne, l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran est envahie par des militants et 52 Américains sont pris en otage. Six employés arrivent à s’échapper et trouvent refuge chez l’ambassadeur canadien. Un expert de la CIA va devoir monter en urgence un plan d’exfiltration osé pour les sortir de là avant qu’ils ne soient découverts.

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          J’avais vu le dernier film de Ben Affleck, The Townque j’avais plutôt aimé, et bien que celui-ci ne m’inspire qu’à moitié, j’étais curieuse de voir si son talent comme réalisateur se confirmait. N’allant que peu au cinéma en ce moment, il m’aura fallu un peu de temps, mais l’occasion de voir ce film a fini par se présenter et j’ai sauté dessus. Dès les premières minutes, j’ai été conquise. Le film démarre en plein feu de l’action, lors de la prise d’otage, et commence très fort. Ce rythme soutenu va d’ailleurs perdurer jusqu’au dénouement. On suit six fugitifs dans une ville à feu et à sang d’un côté, et de l’autre, l’espion chargé de les sortir de ce bourbier. Un scénario qui pourrait laisser attendre des scènes d’action mémorables et des moments d’émotion tout hollywoodiens à l’arrivée du sauveur. Il n’en est rien. Ben Affleck n’est pas là pour en mettre plein la vue et s’intéresse bien plus à la psychologie des personnages et à la complexité de leurs relations qu’au côté grand spectacle que pourrait avoir la situation.

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          Et c’est là tout l’intérêt de ce film, qui prend le parti de ne pas délaisser les personnages au profit de l’action. Certains regretteront peut-être que l’aspect politique ne soit pas plus prononcé, étant donné le sujet des plus délicats. Pour ma part, j’ai trouvé que Ben Affleck ne s’en tirait pas trop mal de ce côté-là, conservant une certaine neutralité et s’en tenant à ce qu’ilsait faire, à savoir, de bons thrillers. Je me suis laissée prendre à cette histoire dont on connaît pourtant la fin (forcément puisqu’il s’agit d’une histoire vraie…), avec un vrai suspens qui se met en place tout au long du film. La distribution est excellente avec notamment Bryan Cranston (inoubliable père de Malcolm et plus récemment héros de Braking Bad) qu’on retrouve toujours à l’écran avec le même plaisir. Ben Affleck est quand à lui un peu terne mais ça colle plutôt bien avec son personnage. Au final, si ce film ne me marquera sans doute pas plus que ça, il est impeccablement réalisé et j’ai passé un excellent moment. 

Cinéma

Les enfants de Belle Ville

          Drame iranien d’Asghar Farhadi avec Taraneh Alidoosti, Babak Ansari, Faramarz Gharibian

          Abkar vient d’avoir 18 ans. Il était en centre de détention pour mineur après le meurtre de sa petite amie en attendant d’avoir l’âge d’être exécuté. Son anniversaire sonne la fin de la trêve. Son seul espoir est de convaincre le père de sa victime d’accorder son pardon. Sa soeur et son meilleur ami vont unir leurs force pour tenter de le sauver.

          Le film est construit autour de la tension qui entoure la demande du pardon dans cette circonstance extrême. Le rythme est extrêmement lent et le style assez aride. J’ai bien aimé le tout début, ensuite j’ai été un peu déroutée par le déroulement des évènements. Le film est assez intimiste avec peu de personnages et une économie d’énergie troublante. Je n’aime pas beaucoup les engueulades au cinéma et autant vous dire que côtés cris j’ai été servie ! Des thèmes intéressants sont évoqués avec simplicité : le devoir, la religion, l’amitié, le pardon, l’amour…  C’est l’aspect de ce film qui m’a le plus convaincu. Ainsi que la manière dont le réalisateur se passe de juger ses personnages. Chacun a ses convictions et ses raisons pour cela, toutes sont exposées, sans donner de réponse au spectateur. J’ai trouvé cette manière de traiter le sujet intelligente. C’est ce qui fait tout l’intérêt de ce film par ailleurs pas dénué de défauts quant à la réalisation et au scénario. Datant de 2004 et inédit en France, il préfigure ce qui fera le succès du réalisateur notamment dans Une séparation. Trop âpre à mon goût, mais pas inintéressant, une séance mitigée.

Cinéma

Noces éphémères, de Reza SERKANIAN

          Drame franco-iranien de Reza Serkanian avec Mahnaz Mohammadi, Hossein Farzi Zadeh, Javad Taheri.

          En Iran, une tradition surprenante a cours : le mariage éphémère. Pour « patienter » avant le mariage officiel et définitif, les jeunes hommes peuvent se marier pour une durée déterminée, pour une année ou un simple quart d’heure.

          L’idée de ce film m’a franchement séduite. Je ne connaissais pas l’existence de cette tradition et j’étais curieuse d’en savoir plus. Les relations sexuelles hors mariage étant interdites, une solution simple existe : le mariage en CDD (voire en intérim). On se marie uniquement pour le temps nécessaire, il suffit que les deux partenaires soient d’accord et que l’imam approuve. Et pouf, plus de relations hors mariage. C’est magique. Ca arrange bien les hommes, les mariages sont longs à organiser et la patience n’est pas leur fort. Du côté des femmes, ça concerne essentiellement les veuves (les jeunes filles devant être vierges le jour du mariage « définitif », elles ne peuvent être concernées sans compromettre fortement leur avenir). En effet, c’est un péché pour une femme, à plus forte raison avec des enfants, de rester célibataire, les veuves ont ainsi tout intérêt à se trouver rapidement un protecteur. Une solution qui avantage évidement les hommes mais que j’ai trouvé fort astucieuse.

          Le film aurait pu avec un sujet pareil verser dans la comédie aussi bien que dans le pamphlet politique. Il n’en est rien. La première scène est splendide. J’ai été happée par le raffinement des plans et la beauté des images dès les premières secondes. La lumière est très bien captée et le film commence et finit sur un clin d’oeil à la peinture aussi intéressant que réussi. Le réalisateur nous immerge dans une famille traditionnelle provinciale. Hommes et femmes vivent des vies séparées et ne font que se croiser. Cependant, la bonne humeur règne et si chacun vit dans des sphères différentes, c’est dans le respect de l’autre. Les traditions ont cours, mais avec sans doute moins de virulence que dans la capitale ou les grandes métropoles.

          Kazem est sur le point de se marier. Maryam, la veuve de son frère, vient de la ville pour assister à l’évènement. Tout ne va pas se passer comme prévu et va naître entre eux une complicité nouvelle. Contrairement à ce qu’on pourrait craindre, on ne tombe jamais dans la romance. La trame est d’une grande finesse et habilement mise en scène. J’ai vu un certain nombre de films iraniens et celui-là sort vraiment du lot : ni métaphorique, ni engagé. Le réalisateur filme les traditions iraniennes sans porter de jugement arrêté, il montre simplement un état de fait, et si une légère critique transparaît parfois, c’est toujours avec beaucoup de subtilité et de tendresses. C’est d’ailleurs sans doute ce qui lui a permis de pouvoir tourner librement en Iran tout en recevant les éloges de la critique occidentale. Un pari osé et amplement réussi. On découvre un visage de l’Iran qu’on ne voit que trop rarement : certes, la condition de la femme n’y est pas glorieuse, surtout en ville, mais tout n’est peut-être pas si noir, comme partout, la joie de vivre et l’espoir existent aussi.

          Un premier film dont j’ai beaucoup apprécié la retenue. La tendresse qui transparaît à travers chacune de ses images. Les sentiments sont toujours évoqués avec pudeur : amour naissant, fuite de l’extrémisme, réflexion sur la condition de la femme, amitiés profondes et amour des siens et de sa patrie. Un mélange tout en retenue qui rend compte d’une réalité bouleversante. J’ai été très surprise de voir que c’était un homme qui était à la réalisation (a priori stupide, je le sais, mais j’étais persuadée que seule une femme pouvait filmer de la sorte). Ce film est un petit miracle : bien filmé, bien construit, bien joué (les acteurs, pourtant peu ou pas expérimentés pour la plupart, sont impressionnants) : beau et intelligent à la fois. On en redemande !

          Pour en savoir plus, le site du réalisateur.