Mes lectures

Pas pleurer, un joli texte de Lydie Salvayre

          Lydie Salvayre raconte la Guerre d’Espagne à travers la voix de sa mère, Montse, alors adolescente et qui l’a vécue comme une libération. S’y mêle la voix révoltée, elle, de Bernanos, témoin et dénonciateur des pires atrocités. Deux visions opposées d’un même événement qui résonnent étrangement avec le présent.

Pas pleurer

          De Lydie Salvayre, je n’avais lu que BW, très récemment, et que j’avais beaucoup aimé. Il m’avait donné l’envie de lire autre chose d’elle et quand j’ai vu qu’elle publiait un nouveau livre en cette rentrée littéraire, sur un sujet aussi fort qui plus est, je n’ai pas pu résister à la tentation de le lire. J’ai retrouvé avec bonheur le même style enlevé que dans BW, la même énergie. Une écriture plus complexe qu’il n’y paraît et extrêmement maîtrisée, un vrai régal ! Ici, l’auteur donne la parole à sa mère, qui a grandit en Espagne, et retranscrit ses paroles en y laissant les fautes de français et les mélanges entre les deux langues pour un résultat très vivant et plus vrai que nature.

          Quant à l’histoire, elle est bien sûr passionnante. Le sujet choisi est très fort et la manière de le traiter pour le moins originale. Je dois admettre que j’ai quelques lacunes en histoire (à mon grand désespoir) et que je suis loin de connaître les détails de la Guerre d’Espagne. Les quelques livres que j’ai lus sur le sujet étaient toujours assez arides – trop parfois – et j’ai été étonnée par le ton de celui-ci tout comme par son point de vue particulier. Le fait de faire parler sa mère, avec son point de vue singulier et ses imprécisions, rend le récit à la fois accessible et touchant, ça le rapproche de nous. Le fait d’y mêler la voix de Bernanos permet de rétablir dans le même temps une autre vérité historique, celle des exécutions et de l’horreur. Un très joli texte, léger, tendre, émouvant.

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Il faut que tu comprends qu’à cette époque-là, les racontages remplacent la télévision et que les villageois, dans leur appétit romantique de disgrâces, et de drames, y trouvent matière à rêves et à inflammations.

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Ma mère est une mauvaise pauvre. Une mauvaise pauvre est une pauvre qui ouvre sa gueule.

Mes lectures

Le jour où la guerre s’arrêtera, le nouveau roman de Pierre Bordage

         Un enfant qui semble sorti de nulle part cherche à retrouver la mémoire. Il porte un regard nouveau et sans concession sur l’espèce humaine et ses comportements et va essayer de les emmener à plus de raison.

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          Je ne suis pas une grande adepte de science-fiction et si j’en ai lu durant mon adolescence, j’ai presque totalement délaissé le genre depuis. Pourtant, quand j’ai vu que Pierre Bordage sortait un nouveau roman, j’ai eu envie de le lire. Voilà qui est chose faite. J’ai été un peu déroutée au début par cette histoire : le regard extérieur sur le monde peut s’avérer intéressant mais je trouve qu’il pose surtout pas mal de problèmes (qu’est ce que le personnage sait ou pas, parle-t-il le langue ? connaît-il les objets qui l’entoure ? quels concepts lui sont familiers ?). Il est difficile d’imaginer quelqu’un qui ignore tout de notre monde et bien souvent, les auteurs peinent à tenir ce point de vue extérieur. Et même lorsque c’est bien fait – ce qui est plutôt le cas ici – ça crée une impression de naïveté qui a tendance à me déranger. Toutefois, le style étant agréable, je ne me suis pas arrêtée à cette première impression un peu étrange et j’ai poursuivi ma lecture.

          Je me suis peu à peu habituée à ce point de vue particulier et tout compte fait assez bien traité. De la même façon, les bizarreries de cet enfant sorti de nulle part ne m’ont pas trop gênée. Je dois bien admettre qu’en revanche son côté dégoulinant d’amour pour la Terre entière m’a un peu agacée mais bon, ça colle bien avec son personnage. Même si je n’ai pas toujours compris précisément où le roman voulait en venir au juste, il y a quelques réflexions intéressantes, sur l’humanité entre autres. Le message ne m’a pas paru d’une extrême clarté mais je crois que j’aime autant, ça évite de tomber dans des conclusions simplistes et pousse le lecteur à réfléchir un peu sur ce texte. N’étant pas trop habituée à ce type de récit, il m’est un peu difficile de le juger objectivement mais il m’a sembler éviter les principaux écueils du genre. Malgré un côté un peu naïf qui peut agacer, un roman agréable à lire et assez intéressant.

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Il n’avait pas renoncé à la possession la plus ardue à extirper de lui-même, à l’illusion la plus difficile à discerner parmi celles qui se riaient des êtres humains : la certitude d’être dans la vérité.

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Seule la mort donne du prix à la vie.

Mes lectures

Peine perdue, un très beau roman d’Olivier Adam

         Sur la Côte d’Azur, après les beaux jours les touristes ont quitté la petite station balnéaire où vivent Antoine et les autres. Une vie en apparence paisible où vont pourtant survenir des événements qui vont bouleverser les habitants. Chacun va alors être confronté à ses peurs, ses espoirs et ses échecs.

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          Je n’avais pas lu grand chose d’Olivier Adam et je dois avouer que mes dernières lectures de ses romans dataient un peu. J’avais trouvé les deux romans que j’avais lus pas mal, sans plus. Une écriture un peu sèche à mon goût, avec laquelle j’avais un peu de mal à accrocher. Une écriture qui ne m’émeut pas outre mesure malgré la force des histoires qu’il raconte. Un peu trop sobre à mon goût sans doute. On m’avait dit le plus grand bien de son dernier roman, paru il y a deux ans, bien au-dessus du lot paraît-il. Et puis je ne sais pas, le temps est passé, je ne l’ai pas lu. Pourtant, quand celui-ci est sorti, j’ai eu une soudaine envie de l’acheter en le voyant sur les étals des libraires. Et c’est par ce roman que j’ai commencé mes lectures de cette rentrée littéraire. Quelle riche idée n’ai-je pas eue là !

          Dès les premières lignes, j’ai été happée par ce style si particulier. Toujours haché mais plus rond que dans mon souvenir, plus travaillé. Je n’y ai pas retrouvé la sécheresse qui m’avait gênée dans ses premiers ouvrages mais au contraire, une écriture comme un souffle, riche et pleine. On le retrouve pourtant, il a simplement mûri, semblant façonner ses phrases avec une énergie nouvelle. Une écriture qui déroute. Une ponctuation parfois absente, des mots durs qui semblent par moments se chevaucher dans un ordre incertain, comme heurtés, et qui paraissent aller de soi pourtant. C’est simple, c’est juste, et c’est terriblement beau. Tout comme l’histoire qu’il raconte d’ailleurs.

          Ce roman polyphonique raconte la vie d’une petite station balnéaire du sud-est à l’approche d’une tempête. L’histoire avance en multipliant les points de vues, donnant la parole tour à tour à une vingtaine d’habitants qui en plus du drame collectif, ont leurs blessures propres. Le tout crée un mélange saisissant, étrangement juste et touchant. A travers ces portraits de gens un peu perdus, c’est de la société qu’Olivier Adam nous parle avec brio. Il y a un air de vécu dans la détresse de ces gens, dans leurs tracas quotidien où chacun se retrouve un peu. J’ai trouvé la fin assez noire, elle aurait peut-être mérité d’être plus lumineuse pour donner du relief au récit. C’est un peu dommage mais reste cohérent avec le reste du texte et ne gâche en rien la qualité de l’ensemble. Un roman à l’écriture puissante qui possède un pouvoir d’évocation remarquable. Une fresque sociale juste et touchante. Un très beau texte.

Photo : David IGNASZEWSKI pour Flammarion
Photo : David IGNASZEWSKI pour Flammarion

Au final ici l’été ce n’est pas seulement le mercure. C’est surtout les gens. La manière dont ils remplissent les lieux, les silences, les paysages.

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Mais c’était une autre époque. Il a mis du temps à le comprendre. Le fossé qui se creuse entre deux générations. C’est un truc difficile à intégrer. A se figurer. Que les choses puissent changer à ce point en si peu de temps. Qu’au même âge ont ait plus le même âge à vingt-cinq ans d’intervalle. Et que la vie elle-même ne soit plus la même vie. Le décor. Les mots. Les gestes. Les façons de se tenir. Les sentiments.

Mes lectures

L’homme de la montagne, Joyce Maynard

          Rachel et Patty ont grandi près de San Francisco avec une mère quasi absente et un père volage qui a fini par quitter la maison pour une autre femme. Pour tromper leur ennui, elles passent des heures à jouer dans la montagne derrière leur maison. Jusqu’au jour où une affaire de meurtre va bouleverser leur quotidien et celui de leur père, chargé de l’enquête. 

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          Je ne connaissais pas du tout Joyce Maynard mais la quatrième de couverture me tentait beaucoup et j’ai été très contente de recevoir le roman avant sa sortie. Je dois dire que je n’ai pas été déçue ! J’ai été agréablement surprise par la qualité de l’écriture tant que par l’histoire. Le personnage principal, Rachel, est attachant et j’ai aimé la voir évoluer au fil des pages. Elle respire la spontanéité et je pense que ses excursions dans la montagne avec sa sœur comme leurs jeux rappelleront des choses à plus d’un. On s’identifie assez bien à ces deux petites filles un peu à part et pleines de vie.

          J’ai trouvé les rapports entre les personnages très intéressants : deux sœurs inséparables, un père qu’elles adulent et une mère dont elles ne se préoccupent guère. Il y a également quelques réflexions très justes sur l’adolescence qui donnent une touche nostalgique au texte. Je pensais avoir affaire à un roman policier mais il ne l’est pas au sens classique du terme, même si en effet il y a bien des meurtres, une enquête et un certain suspens qui se crée au fil des pages. On oscille entre plusieurs styles : à la fois roman à suspens et récit intime sur une famille qui se brise.

          Ce roman est très bien construit, autour d’une trame policière inspirée d’un fait réel. Mais la série de meurtres est avant tout un catalyseur qui exacerbe les réactions de chacun, dévoile la nature des gens. Les personnages sont variés et bien construits, à la fois marquants et assez éloignés des clichés du genre. Une subtilité dans la description des relations humaines et du ressenti de chacun qui m’a touchée. Pourtant, malgré une certaine nostalgie, l’écriture conserve toujours une part de légèreté des plus agréables. Comme si la jeunesse des personnages l’emportait sur tous les malheurs qu’elles peuvent rencontrer. Un roman sensible et très juste qui m’a embarquée dans son univers et m’a intéressée de bout en bout. Une belle découverte.

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Les filles de treize ans croient aux pères héroïques et aux méchantes belles-mères. Aux paroles des chansons, aux conseils de leurs amies du même âge – et aussi que leur premier amour durera toute la vie […].
La fille de treize ans déteste sa mère. Adore son père. Déteste son père. Adore sa mère. Alors quoi ?
Les filles de treize ans sont grandes et petites, grosses et maigres. Nil’un ni l’autre, ou les deux. Elles ont la peau la plus douce, la plus parfaite, et parfois, en l’espace d’une nuit, leur visage devient une sorte de gâchis. Elles peuvent pleurer à la vue d’un oiseau mort et paraître sans cœur à l’enterrement de leurs grands-parents. Elles sont tendres. Méchantes. Brillantes. Idiotes. Laides. Belles.

Mes lectures

Les indomptées, une fresque familiale touchante de Nathalie Bauer

          Nathalie, Julienne et Gabrielle sont trois vieilles dames issues d’une même famille – deux sœurs et leur cousine – qui tentent ensemble de sauver le domaine familial. Leurs déboires sont l’occasion d’évoquer le passé et la vie de leur aïeux pour un roman qui jongle entre passé en présent.

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          Ce roman est un de (très) rares que j’ai reçus des éditeurs pour la rentrée littéraire. Si j’avais demandé les 2 autres qui me sont parvenus, je n’avais pas retenu celui-là dans ma sélection. A la lecture de la 4° de couverture, l’histoire m’a semblé plutôt intéressante mais ça ne me paraissait pas trop être mon genre de littérature, j’étais donc un peu méfiante en entamant ma lecture. Pourtant, je dois avouer que j’ai été agréablement surprise. L’écriture est limpide mais jamais simpliste et même au contraire aux formulations assez recherchées, rendant ce roman très agréable à lire. L’histoire quant à elle est intéressante avec une partie qui se passe de nos jours et une autre (qui a ma préférence, je dois l’admettre) au début du siècle dernier, avec l’arrivée de la guerre et la difficulté de reconstruire après.

          J’avais un peu peur d’un côté « régionaliste » trop marqué. Au premier abord, le livre m’a un peu fait penser à ceux que pouvait lire ma grand-mère sur le terroir ou la vie paysanne et dont le style un peu vieillot ne m’enchante guère. Pourtant ces sujets-là m’intéressent assez et je suis contente de trouver de temps en temps un roman qui sort un peu du lot. Ici le thème est abordé avec beaucoup de finesse puisque chacun des personnages semble avoir un attachement différent au domaine familial et un lien particulier avec ses racines. J’ai trouvé que cette pluralité permettait un point de vue global très intéressant sur la question. Le terroir est constamment présent sans que le trait ne soit jamais trop appuyé : il est en toile de fond, sert de décor aux histoires de chacune et, à travers le domaine, sa sauvegarde est l’enjeu principal du récit. Une manière un peu détournée de présenter les choses qui les rends plus légères et que j’ai appréciée.

          Les trois figures principales du livre – inspirées de la famille de l’auteur – sont des personnages forts qui ont eu des vies assez remarquables quoique très dissemblables. La maison qui les a vues naître semble être la seule chose qui les unit. On découvre aussi à travers elles l’histoire de toute une famille, des femmes mariées à la ville, des hommes partis à la guerre, des naissances et des décès. La vie en somme. J’ai beaucoup aimé que le récit soit constellé de photographies en noir et blanc qui permettent de donner un visage à ces hommes et ces femmes qu’on suit pendant près de 500 pages. J’ai trouvé cela touchant même si la vie des grands propriétaire me parle bien moins que celle des « petites gens ». J’ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture, en particulier avec les passages qui se déroulent au début du XX° siècle. Les autres m’ont un peu ennuyée parfois et je trouve presque qu’on aurait pu s’en dispenser. Une lecture que j’ai appréciée pour la clarté de son style et sa belle histoire qui traverse les décennies. Mais cette saga familiale est surtout un très bel hommage à cette famille comme on aimerait pouvoir en rendre à la nôtre.

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Tout récit étant subjectif par nature et ne proposant qu’une version de la réalité, autant valait raconter les épisodes tels qu’ils auraient « dû » se produire si les êtres avaient été dotés d’un peu plus de poésie.

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Alors elle se demanda si c’était cela, la vie. Si c’était là ce qu’elle faisait : vous rattraper au moment où vous ne croyiez plus à rien et vous saisir, vous soulever, vous porter. Et l’attirance – l’amour peut-être -, c’était cela aussi ? Non un envoûtement, une palpitation du cœur, une pulsation de toutes les veines, mais le calme, l’assurance d’un horizon libre, d’une route aplanie, d’un voyage confortable ?

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La mort agissait souvent dans les familles comme une réaction chimique, révélant les conflits latents, faisant exploser le mélange détonant. Quelques gouttes mal dosées, et voilà qu’était anéantit le travail d’une ou plusieurs vies.