Ce court texte a été publié dans un magazine au début du siècle dernier. L’auteur y explique en quoi la lecture peut être considérée comme un vice. Et surtout, comment certains lecteurs font du mal à la littérature. Une dénonciation de la démocratisation de la lecture. Un texte polémique.
L’auteur fait la distinction entre le lecteur inné, qui va vers les livres spontanément, et le lecteur mécanique, qui lit par devoir, pour répondre aux conventions sociales. Le premier serait nécessairement intelligent, comprendrait tout ce qu’il lit et ferait la part des choses entre un texte insipide et un futur classique. Le lecteur mécanique serait un idiot n’étant pas à même de comprendre les enjeux d’un texte. Par la même, il engendrerait l’auteur mécanique, fléau de notre société, nous servant des inepties toujours plus grandes. Une partie de moi approuve cette vision des choses : oui, il y a des gens qui se prennent pour de grands lecteurs parce qu’ils ont lu 3 auteurs à la mode, et en effet, tous les lecteurs n’ont pas la même réflexion face au texte. Et oui, si les lecteurs étaient plus exigeants, sans doute moins de textes d’une idiotie crasse nous parviendraient. Même si à moins avis le processus doit se faire dans l’autre sens, mais c’est là un autre débat.
Toutefois, même s’il y a une petite part de vérité – et oui, au passage, j’assume la part d’auto-suffisance que cela suppose, on a tous nos domaines de compétences, j’ai tendance à considérer que le mien se situe du côté des livres – cette théorie est pour le moins simpliste. Si certains ont plus de prédispositions à aller vers les livres que d’autres, je ne pense pas que cela soit inaltérable. Beaucoup de gens se découvrent un amour des livres sur le tard quand d’autres les abandonnent après des années de bonne entente. Le prédicat de départ est donc un peu faiblard. D’autant plus que des infinités de nuances existent. Certaines personnes bien que n’aimant pas beaucoup lire montrent une réflexion très juste sur la littérature, quand d’autres, lisant énormément, sont incapables de recul. Il doit y avoir à peu près autant de cas que de lecteurs. Les diviser en 2 catégories antinomiques me semble un peu léger. Ce serait trop beau de pouvoir différencier aussi simplement les « élus » de ceux qui devraient se contenter de leur télé. D’autant plus que la « vérité » en sciences humaines est relative, et qu’on est toujours l’imbécile de quelqu’un. Autant vous dire que le problème est complexe.
La deuxième chose gênante, c’est que le texte a vieilli : le monde a changé. De nos jours la société ne nous oblige plus franchement à lire, ni ne nous y incite d’ailleurs. La lecture n’est plus à la mode. Lire un livre par-ci par-là, bien sûr, c’est bien, mais lire beaucoup, ça n’est pas du tout dans l’air du temps. C’est simple, quand les gens rentrent chez moi et voient ma bibliothèque, ils frôlent généralement la crise cardiaque. Généralement, ils demandent mi surpris, mi effrayés : « mais tu as lu tout ça ?!!! » avant de lui tourner bien vite le dos. Quand j’explique que les 400 titres qui ornent les murs de mon studio ne représentent que 2 ans et demi de lectures et acquisitions, je perds généralement mon interlocuteur. Non, les lecteurs n’impressionnent plus vraiment, ils font juste peur. Un peu comme si on croisait un dinosaure dans la rue, plus il est gros, plus on est tenté de fuir.
En plus d’être d’une honnêteté intellectuelle douteuse, ce livre est donc dépassé. Il ne propose de plus aucune solution au problème (réel ou supposé) de la dégradation de la production littéraire. Bien évidemment, comme être « bon » ou « mauvais » lecteur serait inné, inutile de réfléchir à comment tenter d’ouvrir la « grande » littérature à un plus grand public. Ce texte est absolument imbuvable, mais l’auteur est d’une rare pédanterie. Toutefois cette lecture permet de se poser des questions sur ce qu’est être lecteur (allez, je me lance dans une provocation gratuite : permet de réfléchir, si on est un « bon » lecteur, bien sûr !). L’occasion de se demander aussi quelle place a la littérature aujourd’hui dans notre société et ce qu’est pour nous la lecture. Je pense d’ailleurs, revenir cette question prochainement, le temps justement pour moi d’y réfléchir un peu.
Peu de vices sont plus difficiles à éradiquer que ceux qui sont généralement considérés comme des vertus. Le premier d’entre eux est celui de la lecture.
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Il est évident que le lecteur mécanique, tenant chaque livre isolément pour une entité suspendue dans les limbes, manque tous les chemins parallèles et les raccourcis. Il est comme un touriste qui passe d’un «site» à l’autre sans rien regarder qui ne soit recommandé dans le Baedeker. Des délices du vagabondage intellectuel, de la poursuite improvisée qprès une fugace allusion, suggérée parfois par la tournure d’une phrase ou par la simple essence d’un mot, il n’a pas la moindre conscience. Avec lui, le livre suffit: l’idée d’en user comme la clé d’harmonies non préméditées, comme d’une fuite dans quelque paysage choisi, dépasse son entendement.
Pour en savoir plus, retrouvez la présentation de ce texte sur le site des éditions du sonneur.