La traite et l’esclavage furent le premier système économique organisé autour de la transportation forcée de populations et de l’assassinat légal pour motif de liberté, pour marronnage. Ce système a perduré pour l’Europe durant plus de quatre siècles, pour la France durant plus de deux siècles. Il ne s’agit pas de se morfondre ni de se mortifier, mais d’apprendre à connaître et respecter l’histoire forgée dans la souffrance.
De nos ministres passés et présents (voire même très probablement futurs), Christiane Taubira est de loin ma chouchoute en matière d’éloquence. Quel style ! Elle manie la langue de Molière avec un certain brio et ne lésine pas sur la métaphore. Je n’avais jamais eu l’idée de lire quoi que ce soit d’elle mais quand j’ai vu ce petit livre sur l’esclavage, je me suis dit que c’était l’occasion. Dès les premières lignes j’ai été assez époustouflée par le style. Elle parle au moins aussi bien qu’elle écrit. Même si sur la longueur c’est presque trop d’emphase à mon goût. D’ailleurs ça m’a parfois dérangée dans la mesure où le texte est présenté comme un dialogue avec sa fille, a priori adolescente, et qui utilise le même style très travaillé avec des questions d’une pertinence rare : ça fait légèrement artificiel (à moins qu’elle n’ait une fille particulièrement intelligente et qui parle comme Aimé Césaire, on ne sait jamais).
Le sujet m’intéressait. Etrangement, je me rends compte que je ne sais pas grand chose sur l’esclavage. Bien sûr j’ai quelques notions de base mais je me rends compte que ce que j’en sais vient surtout du cinéma américain. Pas très global comme vision donc. J’ai bien aimé l’idée de ce dialogue avec sa fille, ça permet de simplifier un peu une histoire riche et complexe afin de la rendre plus facile à appréhender. J’ai bien aimé le début, sur l’histoire de l’esclavage, ses avantages économiques et son organisation. C’est expliqué de manière succincte mais avec clarté. Les implications dans la société actuelle – même si elles sont sans doute en partie discutables – sont très intéressantes et m’ont ouvert certaines perspectives. Dommage que les réponses à donner ne soient pas assez poussées. La première partie sur le passé est donc à mon sens bien plus réussie que la seconde sur le présent et l’avenir qui peine plus à trouver ses marques même si des pistes de réflexion sont amorcées.
Comme on peut s’en douter, l’auteur est clairement de parti près et, comment dire ? très passionnée ! J’ai beau partager en grande partie ses idées sur le sujet, ça m’a tout de même parfois dérangé. La passion c’est bien mais là ça donne l’impression d’une absence d’objectivité qui n’est pas loin de desservir la cause qu’elle cherche à défendre. Même si au fond, le personnage étant bien connu pour ses opinions très tranchées, je suppose que ce sont quand même plutôt des lecteurs acquis à sa cause qui lisent ses ouvrages. J’ai trouvé que sur la fin, quand on en vient aux réponses concrètes à apporter aujourd’hui pour se défaire des séquelles de l’esclavage, ça devenait plus brouillon et perdait un peu en clarté. Bien que ce livre n’aille pas assez loin dans la réflexion à mon goût et fasse preuve parfois d’une verve démesurée, il présente les bases d’un pan essentiel de l’histoire dans un style magnifique et donne envie de s’y intéresser de plus près.
La France, qui fut esclavagiste avant d’être abolitionniste, patrie des droits de l’homme ternie par les ombres et les « misères des Lumières », redonnera éclat et grandeur à son prestige aux yeux du monde en s’inclinant la première devant la mémoire des victimes de ce crime orphelin.
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Une histoire de violence et de beauté.
Il se peut que la beauté l’emporte.
Ah…. je voulais te l’emprunter…
Je te le ramènerai.