Les troubadours sont des artistes du Moyen Age, auteurs de poèmes destinés à être chantés, parfois accompagnés dans les cours seigneuriales de danse ou de jongle. Il arrive que parfois le troubadour interprète lui-même ses oeuvres, mais elles peuvent également être chantées par des ménestrels ou des jongleurs quand lui-même se consacre uniquement à l’écriture. Les premiers textes apparaissent vers l’an Mil, lorsque la littérature occitane commence à se détacher de la langue latine. Toutefois, il reste peu de traces des textes des X° et XI° s. et l’âge d’or des troubadours se situe aux XII° et XIII° s. Le mouvement est né dans le sud de la France, en pays d’Oc, avant d’être repris dans le Nord par les trouvères.

Au Moyen Age, la France était divisée en deux ensembles linguistiques majeurs : le pays d’oïl au nord et le pays d’oc au sud. A noter que le Basque, le Breton, ou encore le Catalan en sont exclus, étant des langues à part entière. Les dialectes du pays d’oïl sont regroupés sous le terme « d’ancien français » et sont à l’origine du français moderne. Quant au pays d’oc, on y parle l’occitan, dont je vous présentais les différents dialectes ici-même le mois dernier. Avant l’invention de l’imprimerie, la transmission est essentiellement orale ; toutefois, il existe des manuscrits, établis par des copistes, qui témoignent de la littérature de l’époque. Le Moyen Age a en effet été une période particulièrement riche pour la création littéraire avec les célèbres textes chantés des troubadours, dont la production est très importante, tant par leur quantité que par leur qualité. La musique qui accompagnait les textes était très importante et souvent inspirée du folklore et des chants grégoriens.

On l’ignore bien souvent mais les troubadours, dont on vante les louanges dans les manuels scolaires, écrivaient en langue d’oc et sont à l’origine du premier mouvement littéraire en langue romane. Eh oui, rien que ça ! La langue d’oïl était quant à elle utilisée par les trouvères. Toutefois, les premiers étaient les plus renommés. Ils ont été les précurseurs de ce mouvement majeur et les seigneurs pour lesquels ils composaient étaient alors bien plus fortunés que leurs confrères du Nord, ce qui a permis à leur art de se développer dans un climat favorable. Si la poésie médiévale a connu son essor dans le Sud de la France, c’est aussi pour des raisons économiques. On le sait bien, la culture se propage toujours plus aisément dans des terres prospères !

Le mot « troubadour » vient du verbe trobar (prononcer « trouba ») : trouver. Il est donc littéralement celui qui trouve. Il existe trois types d’écriture chez les troubadours : le trobar lèu (vite), style simple qui se comprend aisément ; le trobar clus (hermétique), texte plus fermé qui joue sur l’ambiguïté ; et le trobar ric (riche), dérivé du précédent, sa beauté réside dans la difficulté vaincue. Je ne sais si la comparaison est justifiée mais cette dernière définition m’a toujours directement évoqué la poésie symboliste et particulièrement Mallarmé. Il y a également plusieurs types de chansons : la canso est la plus courante avec une forme fixe de six couplets presque toujours consacrée à l’amour et qui représente plus de la moitié de la production, la serena s’attache au chevalier amoureux (une sérénade donc), le planh est le chant de deuil, l’aube parle des amants devant se séparer à l’aube, les siventès sont politiques, la ballade est une chanson sur laquelle danser, la pastourelle vante l’amour d’une bergère, la tenso est créée à plusieurs et parle généralement d’amour et les chansons de croisades racontent les aventures des croisés.

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’on trouve des troubadours dans toutes les classes de la société : seigneurs, chevaliers, bourgeois, membres du clergé mais aussi des personnes d’origines plus humbles ou même des femmes. 400 troubadours sont arrivés jusqu’à nous et environ 2500 textes. Parmi eux Bernard de Ventadour, Guillaume IX Comte de Poitiers ou Jaufré Rudel qui a écrit une célèbre chanson sur l’amor de luenh (amour de loin) qui reste emblématique de cette époque ; la femme, jamais vue, y est aimée à distance et idéalisée. Le Moyen Age connaît dans l’art un véritable culte de la femme à qui on laisse une place importante. La plupart des chansons font l’apologie de l’amour, c’est l’élément majeur de l’oeuvre des troubadours et un aspect d’une grande modernité. L’attraction charnelle y est sublimée mais n’en demeure pas moins présente, dans une vision très proche de la conception actuelle du sentiment amoureux. Toutefois, il y a différentes visions de l’amour chez les troubadours : dans l’amour chevaleresque, la Dame se mérite et l’amant doit montrer sa bravoure, pouvant aller jusqu’à mourir pour elle, une relation où la fidélité et la loyauté sont essentielle et dont les relations charnelles sont l’aboutissement ; l’amour courtois est quant à lui adultère et la Dame est d’un rang social plus élevé que son soupirant, il est basé sur l’humilité et dans cet amour impossible, l’amant se contente d’une relation platonique, parfois proche du mystique.

Au cours du XII° s., apogée des troubadours classiques, la doctrine de l’amour s’est affinée et l’amour chevaleresque a connu un recul par rapport à l’amour courtois. Avec le temps, cet aspect vertueux et pur a été exagéré, notamment après la répression cathare. Cette répression violente a aussi donné naissance à de nombreux sirventès, textes engagés qui dénoncent alors la domination étrangère et l’hypocrisie morale. En 1277, une interdiction frappe le chant de l’amour adultère. C’est la base même de l’écriture des troubadours qui est frappée. A partir de ce moment, ils chanteront essentiellement la Vierge et la nature. Leur art décline aux XIV° et XV° s., en raison de l’interdiction frappant leur thème de prédilection mais aussi parce que les croisades mettent à mal la stabilité sociale favorable à la création. En 1323, le « Constistori del Gai Saber » (le consistoire du gai savoir) est créé à Toulouse et fait paraître en 1356 des Lois d’amour qui codifient la langue et imposent une éthique rigoriste qui vient entraver l’élan créatif des troubadours, déjà mis à mal. Cette ultime attaque sonnera le glas de leur création.

L’influence des troubadours aura été très importante, en France mais aussi dans toute l’Europe. Les trouvères s’inspirent rapidement de ce mouvement littéraire mais on trouve également le même type de création dans les pays germaniques avec les « Minnesänger ». Plus de deux siècles d’une création riche et fournie qui a rayonné dans l’Europe entière et a durablement marqué la poésie occidentale mais aussi les mentalités, par cette vision très moderne des relations amoureuses et un grand respect de la femme. Leur influence était telle que Dante, pour écrire sa Divine comédie, a un temps pensé à utiliser l’occitan (si si !!!). Cette période qui a influencé toute la littérature européenne mais également notre vision du monde et de l’amour dans les sociétés occidentales, est aujourd’hui encore considérée comme un âge d’or de la poésie.

aquan li jorn son lonc en mai
M’es belhs dous chans d’auzelhs de lonh
E quan mi sui partitz de lai
Remembra’m d’un amor de lonh :
Vau de talan embroncx e clis
Si que chans ni flors
d’albespis
No’m platz plus que l’ivems gelatz
e tenc lo Senhor per verai
Per qu’ieu veirai l’amor de lonh ;
Mas per un ben que m’en eschai
N’ai dos mals, car tant m’es de lonh.
Ai ! car me fos fai lai pelegris,
Si que mos fustz e mos tapis
Fos pels sieus belhs uelhs remiratz !
e’m parra jois quan li querrai,
Per amor Dieu, l’amor de lonh :
E, s’a lieis platz, alberguarai
Pres de lieis, si be’m sui de lonh :
Adoncs parra’l parlamens fis
Quan drutz lonhdas er tan vezis
Qu’a bels digz jausira solatz.
ratz e gauzens m’en partrai,
S’ieu ja la vei, l’amor de lonh.
Mas non sai quora la veirai
Car trop son nostras terras lonh :
Assatz i a pas e camis,
E per aisso no’n sui devis !
Mas tot sia com a Diu platz !
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orsque les jours sont longs en mai
J’aime le doux chant des oiseaux lointains
Et quand de là je suis parti
Il me souvient d’un amour lointain.
Je vais triste et las de désir
Si bien que ni les chants ni les fleurs d’aubépine
Ne me plaisent plus que le gel de l’hiver
e tiens pour véridique le Seigneur
Grâce à qui je verrai l’amour lointain :
Mais pour un bien qui m’en échoit
J’en ai eu deux maux, car elle est si loin
Hélas, que ne suis-je pèlerin là-bas,
Pour que mon bâton et ma cape
Soient contemplés par ses beaux yeux !
a joie m’arrivera quand je le prierai
Pour l’amour de Dieu, l’amour lointain
Et s’il lui plaît, je demeurerai
Auprès d’elle, moi qui suis de si loin !
Alors viendra le doux entretien
Quand l’ami lointain sera si proche
Et qu’ il jouira comblé de belles paroles.
riste et joyeux, je partirai
Si jamais je la vois, l’amour lointain
Mais je ne sais quand je la verrai
Car nos pays sont si éloignés
Il y a tant de passages et tant de chemins,
Et pour cela, je ne suis pas devin,
Mais que soit faite la volonté de Dieu !
Jaufré Rudel
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